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La Fin du Pétrole
17 novembre 2012

Yves Cochet sur Matin Première [retranscription+audio]

Yves Cochet, eurodéputé Vert, auteur de "Pétrole apocalypse", était l'invité de Matin Première le 13 novembre 2012, et s'exprimait à propos du rapport de l'Agence internationale de l'Energie qui prévoit une augmentation de prix du pétrole dans les prochaines années.

INVITE : Yves Cochet, eurodéputé vert et auteur de " Pétrole apocalypse "

JOURNALISTE : Bertrand Henne 

 

Georges Lauwerijs : Il est l'auteur de " Pétrole apocalypse ". Notre invité aujourd’hui est l'eurodéputé vert Yves Cochet, et on va parler, Bertrand Henne, de l'avenir des prix du pétrole.

BH : Oui, bonjour Yves Cochet.

YC : Bonjour.

BH : Eurodéputé Europe Ecologie Les Verts. Vous vous êtes beaucoup intéressé au pic du pétrole, vous avez été président du groupe d’étude sur le pic du pétrole à l’Assemblée nationale en France et puis, Georges l’a dit, vous avez publié, il y a déjà plusieurs années, " Pétrole apocalypse ", un livre qui mettait en garde contre les conséquences de notre dépendance à un pétrole finissant et de plus en plus cher. Alors, ce qui est intéressant, hier, c’est que l’Agence mondiale de l’énergie confirme que les prix vont continuer à grimper dans les prochaines années, mais souligne aussi qu’il n’y a jamais eu autant de réserves de gaz et de pétrole grâce aux gaz et pétroles qu’on dit " non-conventionnels ", et notamment les Etats-Unis qui exploitent massivement les gaz de schiste, qui vont devenir premier producteur mondial et vont atteindre l’indépendance énergétique. Yves Cochet, est-ce qu’il faut arrêter de parler du pic du pétrole ?

YC : Je ne crois pas, d’abord parce que, traditionnellement, l’agence internationale de l’énergie publie tous les ans son rapport annuel qui est à la fois sur le passé, mais surtout sur le futur. Là, il se projette jusqu’en 2035, et avec des chiffres qui se révèlent, puisque cela fait maintenant 35 ans qu’ils le font, qui se révèlent souvent faux. Il est certain, comme disait Woody Allen, qu’il est toujours difficile de faire des prévisions, surtout lorsqu’il s’agit de l’avenir, mais la plupart du temps, c’est une agence qui, malgré sa neutralité, affichait, enfin c’est quand même un organe de l’OCDE, malgré cette neutralité, est plutôt sous la domination américaine. Ils croient que l’avenir sera sous une croissance à la fois des prix un petit peu, encore qu’ils sont très mesurés parce qu’ils pensent qu’en 2035, ce ne sera que 125 dollars le baril, alors qu’on est à peu près à 100 aujourd’hui. Moi, je crois que ce sera beaucoup plus et puis, surtout, ils croient qu’il y aura toujours la croissance, en effet, de la production de pétrole, de gaz et que, donc, tout va bien, on n’a pas à s’inquiéter. Je ne le crois pas, je crois qu’on peut encore parler de pic de production de pétrole et que le boom actuel notamment, en effet, des gaz de schiste et des huiles de schiste aux Etats-Unis se révèlera être une bulle, c’est-à-dire que peut-être dans 4 ou 5 ans, on verra que c’est beaucoup trop cher à la fois financièrement et écologiquement à exploiter.

BH : C’est-à-dire que vous croyez que ce qui est en train de se passer maintenant aux Etats-Unis et ce que d’aucuns appellent une vraie révolution énergétique avec des emplois créés aux Etats-Unis, avec une baisse de la facture notamment de gaz pour les entreprises américaines qui les rendent compétitives, ça ne va pas durer.

YC : Quand vous dites qu’ils les rendent compétitives, il est vrai qu’à cause de ces découvertes de gaz de schiste, notamment aux Etats-Unis, dans les Appalaches et au Texas, il y a eu une baisse du prix du mètre-cube pour les entreprises, les ménages, les collectivités. Mais les investissements sont tellement plus importants que dans le gaz ou le pétrole traditionnel que les entreprises de l’extraction, de production, de transport et de distribution du gaz elles-mêmes sont très mal en point du point de vue financier, du point de vue économique. Elles ont été obligées d’emprunter pour les investissements considérables, et les courbes de production ne sont pas les mêmes que pour les puits de pétrole ou de gaz classique. Un pétrole ou un gaz classique, vous avez un puits, vous l’avez pour 50 ans. Pour le gaz ou l’huile de schiste, vous l’avez pour 3,4 ou 5 ans, et après, vous êtes obligés d’aller forer ailleurs. Ça coûte d’ailleurs beaucoup plus cher parce qu’il faut faire des forages horizontaux avec des procédés de fracturation hydraulique qui sont assez couteux à la fois, là aussi, financièrement et écologiquement. Donc je crois qu’il y a une mode, il y a une course au gaz et à l’huile de schiste aux Etats-Unis. Ça donne beaucoup de matière pour l’instant, mais je pense que c’est éphémère et que, contrairement à ce que dit l’Agence internationale qui a publié, en effet, son rapport mondial hier, comme d’habitude, tous les mois de novembre, en 2020, les Etats-Unis ne seront pas le premier producteur mondial à la fois de gaz et d’huile et de pétrole mais, au contraire, ils s’apercevront que tout cela leur a coûté fort cher en infrastructures, en investissements, et en écologie, et même, évidemment, en finances.

BH : On sent bien, évidemment, que vous n’êtes pas favorable au gaz de schiste, c’est le moins qu’on puisse dire. En Europe aussi, on dispose de réserves, en Espagne, en France, en Pologne, peut-être en Belgique. Est-ce qu’on doit imaginer un jour, Yves Cochet, analyser la situation, regarder s’il est possible de faire des forages chez nous et évaluer l’impact environnemental ? Les défenseurs du gaz de schiste disent que l’impact environnemental diminue de plus en plus au fur et à mesure que la technologie évolue et que, bientôt, on pourra quasi parler de technologie propre. Qu’est-ce que vous leur répondez ?

YC : Alors, je ne le crois pas pour deux raisons. La première, c’est que, quelle que soit la technologie employée, on peut en parler, il y aura de toute façon, et il y a toujours, même dans les puits conventionnels depuis un siècle, des fuites. Et quand on regarde l’ensemble de la filière du gaz, pas simplement le gaz qu’on brule quelques fois à la maison dans une gazinière, cette filière n’est pas plus propre au point de vue émissions de gaz à effet de serre que peut l’être celle du charbon. Il y a donc là un danger pour le dérèglement climatique, qu’il faut bien avoir aussi en tête lorsqu’on parle d’énergie, c’est que ces énergies fossiles, le gaz, le charbon, le pétrole émettent les gaz à effet de serre, soit au moment de l’extraction industrielle parce qu’il y a des fuites ou même au moment du transport dans les tuyaux, dans les pipelines, les oléoducs, et autres gazoducs ou bien, bien sûr, au moment où il y a la combustion qui se produit. La deuxième chose, c’est que nous savons faire autrement pour avoir de l’énergie, notamment en ce qui concerne disons l’électricité. Pour l’électricité, il y a bien sûr d’abord les économies d’énergie, et là aussi, je m’inscris en faux par rapport aux projections de l’Agence internationale de l’énergie. Et d’autre part, parce qu’il y a les énergies renouvelables, ce sont celles-ci qui, elles, au point de vue sources énergétiques, sont à la fois non-polluantes, le soleil en tant que tel n’est pas polluant, pas plus que le vent, les marées ou l’hydroélectricité. Et puis, il y a un potentiel fort en Europe. Donc c’est dans cette direction qu’il faut s’engager plutôt que d’aller chercher, dans le sous-sol, des gaz de schiste qu’il y a peut-être. Evidemment, vous allez me dire qu’avant de savoir ce qu’il y a, il faudrait déjà explorer. Je vous dis non parce que, pour des raisons de dérèglement climatique d’un côté et de possibilités de faire de l’électricité avec d’autres moyens de l’autre, nous pourrons nous passer de l’exploration et bien sûr de l’exploitation des huiles et gaz de schiste, même en Europe, même si je remarque qu’en effet, au Parlement européen, mes collègues de l’Est européen, notamment les Polonais et même la Commission européenne elle-même, sont plutôt intéressés par ces gaz et huiles de schiste.

BH : On connait, vous venez de nous donner, votre position de principe par rapport à ces gaz et ces huiles de schiste mais est-ce que, quelque part, ce n’est pas écrit dans les astres que l’Europe va devoir à un moment donné y passer, que ce soit dans l’Est, en Pologne, voire peut-être un jour en France. Le rapport Gallois sur la compétitivité remis au Président François Hollande contient des éléments sur les gaz de schiste. Est-ce que quelque part, au-delà de la position de principe qu’on peut avoir sur les gaz de schiste, est-ce que quelque part, cela ne va pas s’imposer de soi, voilà, comme ça s’est imposé aux Etats-Unis ? Qu’est-ce que vous croyez, vous, Yves Cochet ?

YC : Bien sûr, il y a, on peut dire, une contradiction, une controverse qu’on a vue, économique, même scientifique, géologique, énergétique, écologique sur l’exploitation ou non des huiles et gaz de schiste. Si on était dans un monde parfait où le fait d’extraire ces gaz et ces huiles n’aurait aucune conséquence sur la pollution, à la fois la pollution atmosphérique et surtout sur le changement climatique, je vous dirais pourquoi pas, il serait évidemment irrationnel de ne pas regarder ce qu’on a sous les pieds et de ne pas l’utiliser si ça n’avait aucune conséquence. Le problème, c’est que, on l’a vu avec le pétrole, on l’a vu avec le charbon et avec le gaz, même maintenant, les gaz disons et les hydrocarbures conventionnels, il y a une conséquence, c’est le changement climatique dont on voit tous les jours à la fois les aspects sanitaires, écologiques, et même économiques. Je ne dis pas que l’ouragan Sandy, il y a une dizaine de jours, à New York, était directement lié au changement climatique mais, à mon avis, c’est plutôt un signe avant-coureur et ça n’ira qu’en empirant. Alors, il faut savoir le monde que nous voulons laisser à nos enfants.

BH : Oui, est-ce que ces changements climatiques qui vous préoccupent et qui préoccupent beaucoup d’Européens, est-ce que c’est vraiment un frein au développement des énergies fossiles ? Parce que si on lit le rapport de l’Agence internationale, il y a une augmentation de la production, une augmentation de la consommation également, notamment à cause des pays émergeants, et on a l’impression que rien ne vient freiner cela, et surtout pas le changement climatique qui parait une préoccupation quasi purement européenne. Dans la campagne aux Etats-Unis, on en a à peine parlé et l’ouragan Sandy n’a quasi pas changé cet état de fait-là. Est-ce que, quelque part, il n’y a plus que nous en Europe qui y pensons, et encore en Europe, peut-être les écologistes ?

YC : Oui, vous avez raison. Il y a eu, là aussi, une époque, il y a peut-être une dizaine d’années, au moment du protocole de Kyoto, voilà 15 ans, un souci, et puis grâce à Al Gore et à son film, enfin un souci sur les risques du changement climatique qui ne cessent d’ailleurs de s’avérer exacts. Mais la population, les décideurs économiques et politiques semblent moins préoccupés et ils sont plutôt préoccupés à cause de la crise, c’est-à-dire économique et financière, et du manque de croissance. Il y a donc ce fantasme qu’on va pouvoir revenir à coups notamment d’énergies fossiles et pourquoi pas d’énergies non-conventionnelles comme les gaz et huiles de schiste, on va pouvoir revenir à des ères de prospérité comme il y a 20 ans ou 40 ans. Je ne le crois pas ! Je crois que la situation économique ne va pas s’améliorer, quelles que soient les gesticulations des dirigeants européens ou dans d’autres parties du monde. Et, en effet, je suis préoccupé du fait que, dans les autres parties du monde, notamment bien sûr on pense à l’Asie, voire maintenant un peu aux Etats-Unis, il y a une indifférence aux changements climatiques, mais on peut l’expliquer plus ou moins simplement par une sorte de psychologie sociale des sociétés, on regarde à court terme, en gros à six mois-un an pour un industriel et puis à 5 ans ou plus pour une politique, on ne regarde pas ce qui va se passer dans 20 ou 40 ou 50 ans, et la situation risque d’être vraiment très dramatique, sans vouloir faire du catastrophisme, et je crois que c’est ça qui, en tout cas, sauve l’Europe, c’est cette lucidité sur le long terme.

BH : Merci, Yves Cochet d’avoir été notre invité ce matin.

 

 Source: http://www.aspo.be/index.php/fr/actualites/revue-de-presse/62-matin-premiere-13-novembre-2012-yves-cochet (fichier audio disponible sur ce lien)

 

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